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  • Les Tontons farceurs
  • (The Family Jewels)
  • États-Unis
  • -
  • 1965
  • Réalisation. Jerry Lewis
  • Scénario. Jerry Lewis, Bill Richmond
  • Image. W. Wallace Kelley
  • Décors. Robert R. Benton, Sam Comer
  • Costumes. Edith Head
  • Montage. John Woodcock
  • Musique. Pete King
  • Producteur(s). Jerry Lewis
  • Production. Paramount Pictures, Jerry Lewis Productions
  • Interprétation. Jerry Lewis (Willard Woodward / James Peyton / Everet Peyton / Julius Peyton / Capt. Eddie Peyton / Skylock Peyton / Bugsy Peyton), Donna Butterworth (Donna Peyton), Sebastian Cabot (Dr Matson), Neil Hamilton (l'avocat), Jay Adler (M. Lyman), Robert Strauss (le propriétaire de la piscine).
  • Distributeur. Paramount Pictures
  • Date de sortie. 23 décembre 2015
  • Durée. 99 minutes

Le Jour où le clown pleura, par Matthieu Santelli

Les Tontons farceurs

The Family Jewels

Un homme chez le docteur se dit déprimé. Que la vie semble dure et cruelle. Dit se sentir tout seul dans un monde menaçant où ce qui l’attend est vague et incertain.
Le docteur dit. « Le traitement est simple. Le clown Paillasse joue ce soir. Allez le regarder, ça vous remontera. »
L’homme éclate en sanglots… Il dit. « Mais docteur… Je suis Paillasse. »

Watchmen. Alan Moore, 1986

Ris donc, Paillasse !

En 1980, alors qu’il était l’invité du fameux talk-show de Dick Cavett, Jean-Luc Godard expliquait au public américain que Jerry Lewis était l’un de leurs plus grands cinéastes. Cavett, intervieweur stoïque et pro, lui répondit qu’il y avait tout de même une certaine perplexité en Amérique à entendre des intellectuels européens l’encenser. Ce malentendu remonte à loin car l’Amérique n’a jamais su vraiment regarder ses propres films, du moins n’a-t-elle jamais su les voir comme une petite faction de la critique française, qui va de Godard à Serge Daney (soit même pas une génération), les regardait, à savoir sans se soucier un seul instant de leur posture de cinéphile. C’est à ce prix qu’on défend Hitchcock, Tourneur ou Tashlin, loin de la bienséance ou du bon goût, quitte à passer pour un abruti, ou un poseur. Avec Lewis, ils sont allés très loin dans le non-conventionnel, et si le combat pour la reconnaissance, par force de persuasion, a été gagné un temps, peu de monde a repris le flambeau depuis. Aujourd’hui, Daney est mort et Godard est vieux. Plus de trente ans après l’émission de Cavett (visible sur YouTube), la fascination pour Lewis dans la cinéphilie française s’est effacée pour céder la place à un lointain souvenir de ce qui aurait bien pu n’être que les facéties de vieilles idoles fanées… Même à Critikat, après plus de dix ans d’existence, c’est la première fois que nous parlons de lui.

C’est normal. le clown est voué à l’abandon. Il fait rire mais il met mal à l’aise. Son numéro renvoie trop à son propre mal-être (et donc au nôtre), ce que le public n’est pas prêt de pardonner. Les cinéphiles non plus. Lewis a toujours eu conscience de son public, de ce qu’il était, de ce qu’il voyait en lui et de ce qu’il désirait. Et le désir du public n’est jamais bon à prendre. D’où cette question qui le taraude tout le long de son Å“uvre. que lui montrer. Le clown, qu’il réclame. Ou l’homme derrière le nez rouge, qui lui ferait peur. Dr Jerry ou Mr Love. [1] Si Lewis est un clown, c’est donc dans le sens tragique du terme. Son comique excessif appelle l’amour du public dont il a besoin pour échapper à ses peurs. Mais cette peur de ne pas être aimé n’aboutit qu’au mépris mutuel entre la chose qui amuse et la chose qui s’en amuse. Il faut se rabaisser pour faire rire, de même qu’il faut s’avilir pour rire. Peu de monde est prêt à faire cet effort (sauf les enfants) dont il ne restera, après coup, que la honte. Car il n’y a pas de vrai rire sans angoisse, de même qu’il n’y a pas de vrai gag qui ne dissimule un abysse profond. Et il n’y a pas plus angoissant et abyssal qu’un monde dont la fonctionnalité nous rejetterait continuellement de ses rouages. Ce schéma est classique mais Lewis, et c’est en cela qu’il est un grand cinéaste, ne filme pas le corps social mis à mal par le corps burlesque (façon Laurel et Hardy ou Pierre Richard), mais la confrontation dimensionnelle entre deux rapports au monde incompatibles. Chez lui, la lutte est constante, chaque étape du quotidien est un parcours du combattant ; des choses aussi simples et banales que traverser la rue, s’asseoir dans une salle d’attente ou tenter de se suicider ne peuvent s’accomplir sans interférence. Tout se bouscule, s’entrechoque et se répercute dans un écho infini de signes qui s’aliènent les uns les autres. Le corps du clown devient la caisse de résonance de codes sociologiques inassimilables et va, à son tour, tout transférer et déplacer (au sens psychanalytique) autour de lui (comme ici l’avion de l’oncle Eddie). Les films de Lewis sont absurdes mais pas totalement dénués de sens ; un gag qui semble surgir de nulle part n’est en réalité que le maillon d’une chaîne signifiante qui éclate dans un effet de dominos sans crier gare. D’où l’angoisse.

Les larmes du clown

Un homme un peu distrait joue au baseball avec un enfant. C’est la fin de la partie, ils doivent rentrer. L’enfant saute dans les bras de l’homme et le couvre de baisers. Ils s’approchent d’une voiture dont ils ouvrent le coffre arrière pour y mettre leurs affaires et se rhabiller. L’enfant est une fillette. La voiture est une Rolls. Et l’homme est le chauffeur de la fille. L’homme, qui s’appelle Willard, ouvre la portière arrière à la gamine, qui se prénomme Donna. Elle s’assoie, il ferme la porte et va s’installer au volant tandis que la caméra le suit dans un mouvement panoramique. Quand il rentre dans la voiture, Donna est assise à l’avant, à côté de lui. Le jeu social est filmé en tant que tel. il est déjoué hors champ par les personnages qui auront toujours une longueur d’avance sur la caméra. C’est dans ces moments que Lewis, génial inventeur de formes, est le plus inspiré, et que le film devient vraiment émouvant. L’émotion, pourtant, est interrompue par le statut de clown de Lewis qui doit, c’est son obligation mais aussi sa servitude, faire rire, puisque comme le dit Bergson. «Le rire n’a pas de plus grand ennemi que l’émotion .» [2] Donna ne lui sera acquise qu’à la condition qu’il accomplisse ce devoir. Car la jeune fille est une riche héritière qui doit choisir parmi ses six oncles qui sera son tuteur. Pour séduire ce personnage-public, Lewis interprète tous les oncles + Willard. Chaque oncle est pour lui l’occasion d’un numéro de clown farfelu auquel Donna est conviée (mais duquel Willard est exclu).

Les Tontons farceurs (auquel on préfère le titre original The Family Jewels. sans la référence franchouillarde ringarde), comme tous les films de Lewis, se soucie peu de la narration, digresse et divague dans une succession de sketchs loufoques, poétiques, hilarants, voire parfois franchement débiles, dans lesquels Lewis, qui multiplie son numéro par six, s’investit comme jamais. Mais ses performances, toutes plus ahurissantes les unes que les autres, plutôt que de tirer la couverture vers elles, mettent au contraire en valeur Willard qui est l’un des rôles les plus « normaux » que Jerry Lewis ait jamais interprétés dans l’un de ses propres films. Ici, il apparaît sans déguisement ni grimace, ce qui le rend vulnérable, nu, et donc touchant. Et s’il lui arrive de faire le clown, c’est toujours quand Donna n’est pas là. Il doit la séduire mais pas l’amuser, ce qui est le grand fantasme du clown. être aimé pour ce qu’il est, pas pour le maquillage et les galipettes. Mais Donna incarne un public idéalisé. un public trop beau pour être vrai. son choix est joué d’avance. Après avoir fait le tour de tous ses oncles et donc de tous les registres lewissiens, elle doit rendre son verdict. Sans surprise, elle veut Willard qui s’est fait un sang d’encre tout le long du film en craignant de la perdre. Soulagé, il pleure. les larmes du clown peuvent couler quand il n’a plus besoin de faire son numéro. Pourtant, Donna ne peut partir avec Willard qui n’est pas un membre de sa famille. Parmi les oncles, il y a Everet qui est, ô ironie, un clown de profession. Mais un clown qui part à la retraite, heureux d’enlever son maquillage et de se débarrasser une bonne fois pour toutes de ces sales mioches qu’il ne supporte plus. Un clown aigri. De tous les Lewis du film, il est le seul qui n’a pas fait son numéro, le seul qui s’est refusé au public et le seul que Donna a refusé de voir. Autrement dit, astuce perverse, le véritable homme derrière le clown, c’est lui, et non Willard qui est un leurre. Pour pouvoir dorénavant veiller sur Donna, Willard doit alors se faire passer pour Everet (qui se fiche éperdument de sa nièce), et montrer ainsi son vrai visage. Il doit se déguiser en clown pour ne plus en être un. Il part alors main dans la main avec Donna qui, elle, n’est qu’un mirage. Donna, Willard et leur idylle doivent donc être soustraits du happy-end. Tout ce qui reste alors, c’est Everet. C’est là toute la tragédie du clown. passé les larmes et le chagrin, il n’y a plus que l’amertume et le ressentiment.

  1. [1] Sur ce thème, nous vous renvoyons aux textes que Serge Daney a consacrés au réalisateur.
  2. [2] Le Rire. Henri Bergson, 1940.